Centre Universitaire Régional Androy, Université de Toliara, Madagascar
Quand on observe l’histoire de l’humanité, on constate que la population universelle connaît une évolution qui peut fasciner, tant le changement au fil des siècles est perceptible. Pour faire vite : il y eut d’abord la naissance de l’esprit nationaliste, aboutissant à la constitution des nations dont l’objectif était de protéger chacune son territoire. Puis, on connut les grands voyages du 15e siècle, entrepris par les pays où le développement de l’industrie et de la construction navale a permis une sortie vers les espaces lointains. S’ensuivit le désir de beaucoup de pays, forts de leurs pérégrinations, à s’approprier ceux où ils trouvent de quoi alimenter leurs activités. Et l’impérialisme les mena vers la colonisation. Puis les impérialistes entrent en concurrence, et ce fut des guerres mondiales. Après les guerres, soit dans la seconde moitié du 19e siècle, les pays se tournent les uns vers les autres, s’unissent dans des organisations, pour apporter de l’aide à ceux qui souffrent de divers maux, que ce soit naturels ou causés par des manques de toutes sortes et des événements: guerres civiles, conflits armés, famine, épidémie et pandémie, catastrophes naturels,… Le mouvement international pour les populations en danger, qui met à la mode l’expression «sans frontières», reçoit la dénomination d’actions humanitaires. Il s’agit d’entreprendre à l’unisson, avec une coordination internationale, des efforts de grande envergure, afin de pouvoir couvrir les besoins d’une importante surface du globe en matière de populations bénéficiaires. Car, partout dans le monde apparaissent des souffrances profondes.
Les actions humanitaires sont inspirées par l’altruisme, l’amour du prochain. Bref, des valeurs qui permettent d’atteindre un monde meilleur, où la solidarité, la fraternité, animent les acteurs à venir en aide à des populations ou pays dans la crise et en danger.
Et régulièrement en danger, du fait du milieu naturel, est la population de l’Extrême sud de Madagascar, du sud du sud, zone semi-désertique, tristement mondialement connue pour les famines régulières qui y sévissent, dénommées localement kere. C’est la population de l’Androy, majoritairement ntandroy, groupe ethnique assez singulier du fait de son évolution dans des paysages géographique, historique et humain particuliers.
En effet, au plan ethnicité, le groupe ntandroy a son identité spécifique qui, à la fois, manifeste son appartenance à la population malagasy (de Madagascar), tout en le distinguant des autres groupes ethniques. C’est que la diversité ethnique qui constitue l’unité du peuple malagasy présente plusieurs déclinaisons sous la forme de parlers maternels, de systèmes de parenté, de couleur de peau (le teint) et de physionomie, qui sont du domaine de l’identité primordiale; et également sous la forme de l’art vestimentaire, de l’art culinaire, de l’art de se divertir, de la sexualité́ et du rapport masculin-féminin, des techniques de production, des rites funéraires, qui sont du domaine de l’identité instrumentale.
L’identité spécifique ntandroy s’est forgée au fil des temps, en milieu aride, dans un paysage géographique dominé par les épineux, qui entraîne à la lutte quotidienne afin de s’adapter, telles les tortues, à un environnement chaud et sec, avare de produits agraires.
Avant la colonisation de Madagascar par les Français, c’est-à-dire, vers la fin du XIXe siècle, les Ntandroy avaient réussi leur adaptation à leur environnement, dans une région qu’ils ont volontairement choisi d’habiter. Car, Madagascar est une île de peuplement débuté avant le Xe siècle. Les autochtones, les Vazimba, petits êtres qui vivaient en zone forestière, ont fini par disparaître, voire à s’éteindre, laissant l’île aux arrivants, et devenant des êtres mythiques dans la mémoire collective.
L’adaptation ntandroy, selon les récits de tradition orale, se manifestait en gestion des ressources saisonnières. Lors des saisons sèches, qui sont des périodes de soudure, les Ntandroy se nourrissaient de tubercules riches en eau, et de petits mammifères qui peuplaient les forêts d’épineux. Et ils menaient leurs troupeaux en pâturage dans des zones plus vertes hors de la région.
Dans les années 30, l’administration coloniale introduit la cochenille qui a ravagé les cactus. Or les fruits de ces épineux nourrissaient la population lors des périodes de soudure. Et depuis, les Ntandroy, affamés, entreprennent régulièrement des migrations en terres plus prospères.
Mais avant tout, les Ntandroy sont reconnus pour être un peuple fier, qui ne se courbe pas devant autrui, même dans la pauvreté, même affamé. Il n’est pas dans la culture ntandroy de mendier. Et les Ntandroy ne mendiaient pas, jusqu’à ce que… Atteste de cette fierté l’observation du chercheur Michel GUERIN:
«Pays sec et aride, l’Androy a produit un type d’homme à son image. Il est fort, robuste, d’une souplesse et d’une sobriété remarquable. Il peut marcher des heures entières sur le sable brûlant sans ressentir la moindre fatigue. Résigné devant les aléas climatiques, il subsiste avec les fruits acidulés du tamarinier. Haute taille et robuste constitution proviennent à la fois de la sélection naturelle et d’une assez forte consommation de lait pendant la période de croissance.
Indépendant et fier, il n’accepte aucune contrainte. Il veut aller où bon lui semble. Dans ce pays ingrat, l’habitant, nous dit Bérard, est orgueilleux, querelleur, parle fort et ne cache pas son mécontentement. En cas de disette, il préfère la mort à la mendicité ou plutôt au fait d’être vu mendier.»1
On l’aura compris, l’éducation ntandroy héritée des traditions éduque la population à la fierté.
Mais au plan général, c’est-à-dire pour l’ensemble de l’île malgache, l’éducation évolue avec le temps. La modernité joue un rôle important dans cette évolution/transformation. On peut lire Velomihanta RANAIVO, enseignant chercheur à l’Université d’Antananarivo qui écrit:
«Décrire l’éducation à Madagascar, c’est évoquer les apports des influences extérieures qui ont considérablement marqué l’histoire de la Grande île, en particulier depuis le début du XIXe siècle. En effet, l’école est née avec l’arrivée des envoyés de la London Missionary Society dont l’oeuvre civilisatrice était «conçue et organisée dans un but Page: 22 SEPTEMBER-DECEMBER | Edition: Nr. 3 Page: 23 PoliTeknik United SEPTEMBER-DECEMBER | Edition: Nr. 3 religieux», tout en appuyant le «développement de l’impérialisme britannique » au sein d’une monarchie soucieuse au départ d’assurer «l’ouverture de Madagascar au travail et au commerce» (Belrose-Huygues, 1993 : 189 et 191).
Après la loi d’annexion du 6 août 1896, l’institution scolaire a été réorganisée de façon à constituer un instrument de la domination coloniale française qui s’étendait à tous les secteurs d’activités politiques, économiques et socioculturelles.»2
Les composantes et acteurs ntandroy qui interagissent dans l’éducation, formant le système éducatif ntandroy, passent du traditionnel au moderne, sans que le traditionnel disparaisse. Les deux formes d’éducation continuent donc d’évoluer en parallèle pour assurer l’enseignement et l’éducation des acteurs de base, formant ce qu’on entend par système éducatif ntandroy.
Il se trouve que la forme d’éducation moderne a des impacts sur la communauté à forte tendance traditionnelle qu’est la société ntandroy, et est source de déviation perturbant la cohésion communautaire. Mais pire que cela, il y a les impacts des actions humanitaires qui, au lieu de déviation, sont sources parfois de déracinement de la culture et de comportement.
C’est le cas, particulièrement, des aides en vivre apportées par le Programme Alimentaire Mondiale, sous forme de cantine scolaire et de distribution par ménage.
Selon le Ministère de l’Education Nationale dans son site web, consulté le 30 Octobre 2020:
«Trois directions Régionales de l’Education Nationale (DREN) dont l’Anosy, l’Androy et l’Atsimo Andrefana sont les principaux bénéficiaires de la cantine scolaire. Les dotations sont destinées à l’unité de coordination nationale de la cantine scolaire auprès du Ministre de l’Education Nationale (MEN) ainsi qu’aux responsables du programme dans les Circonscriptions Scolaires. Le PAM renforce de ce fait son soutien au MEN pour améliorer le fonctionnement de ce programme et en assurer la pérennisation, … Ce programme améliore d’une part de manière sensible le taux de réussite scolaire. D’autre part il permet de réduire le taux d’abandon. Des mets fortifiés, riches en oligoéléments, sont servis dans les cantines scolaires. Ces supports alimentaires enrichis renforcent l’état nutritionnel des enfants et leur procure de ce fait de l’énergie nécessaire pour mieux se concentrer pendant les cours. Les cantines scolaires permettent d’obtenir des meilleurs résultats en classe, outre le fait qu’elles offrent aux familles les plus démunies la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’école en toute quiétude, malgré la situation de précarité à laquelle elles sont confrontées»,
Certes, initialement, et selon le regard des acteurs qui évoluent dans les organismes pour les aides humanitaires, une action, comme le pourvoi de cantines scolaires, résout le problème de la faim qui entraîne celle de la fréquentation scolaire. En fait, l’expérience démontre que l’introduction des cantines scolaires a également des impacts négatifs sur le mental : les enfants (et les parents) se focalisent sur les repas qui seront distribués à l’heure du déjeuner. Psychologiquement, aller à l’école devient synonyme de manger à midi, et non apprendre. Et en ce qui concerne la population de l’Androy qui était toujours éduquée pour lutter dans la vie, elle perd de son agressivité et de sa combativité devant la nourriture qui arrive sans que des efforts de sa part soient fournis. Tels des fauves qui en captivité perd tout instinct de chasse. Cette perte se manifeste de différentes manières:
– Les enfants qui allaient volontiers à l’école avant les interventions du PAM refusent d’y retourner quand la cantine scolaire n’est plus opérationnelle.
– Dans le paysage des villes de l’Androy apparaissent un phénomène nouveau: des petits et des grands mendient dans la rue. Cela était impensable avant l’arrivée des aides humanitaires en vivre.
– Le mensonge, la dissimulation, la ruse sont cultivés pour bénéficier des vivres gratuits de PAM. De plus, quand les paysans récoltent beaucoup de produits agricoles, ils recommandent de n’en rien dire au PAM.
Les notables et Les anciens se désolent devant ces états de fait, déplorant que les nouveaux ntandroy ne sont pas ce qu’étaient les ancêtres et ce que sont les anciens en perdant les valeurs culturelles et le savoir-vivre ancestral. Eux qui avaient la réputation de résistants, de braves, de forts, de fiers, ils deviennent des assistés pour n’avoir pas eu le loisir de repousser une forme d’aide humanitaire qui, se voulant humanitaire, détruit l’humain dans ce qu’il a de noble. Parmi les Ntandroy, il y a des groupes ou des villages qui, par sursaut de fierté, refusent les vivres et sont taxés d’orgueilleux et de faux fiers par les agents des organismes. Et généralisées, les qualifications négatives à leur égard sont résumées en «population retardée qui ne connaîtra jamais le développement». C’est un comble que d’être qualifié d’arriéré pour avoir voulu garder sa fierté et conserver ses principes éducatifs.
Références bibliographiques
– Guérin, Michel, Le défi. L’Androy et l’appel à la vie, Fianarantsoa : s.éd, 1977.
– Lafontaine, Dominique & Simon, Marielle, 2009, «L’évaluation des systèmes éducatifs», Mesure et évaluation en éducation, 31,3, pp. 95-125, https:// hdl.handle.net
– L’Humanité, revue électronique, 2020, https:// humanite.fr
– Mahmood, Jemilah (dir), Rétablir l’humanité. Appels mondiaux pour l’action (Synthèse du processus de consultation en vue du Sommet humanitaire mondial), Nations Unies 2015, https:// agendaforhumanity.org
– Ranaivo, Velomihanta, «Le système éducatif de Madagascar», Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 46 | décembre 2007, http://journals. openedition.org
- Michel GUERIN, Le défi. L’Androy et l’appel à la vie, Fianarantsoa : s.éd, 1977.
- Velomihanta RANAIVO, « Le système éducatif de Madagascar », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 46 | décembre 2007, mis en ligne le 30 juin 2011, consulté le 30 avril 2019, http://journals.openedition.org