Djibril Diallo
Faculty of Literature and Human Sciences of Cheikh Anta Diop University – SENEGAL
Je ne remercierai jamais assez les organisateurs de cette rencontre africaine en terre européenne : les responsables de l’Institut Africain de Bordeaux : le président Areh Ahmed FARAH et son adjoint Abdou Goudiaby, épaulés par M. Abdourahmane KOITA, le Consul Général du Sénégal à Bordeaux. Dans ces trois noms déjà, l’Afrique entière se retrouve de Dakar à Djibouti. Je remercie les autres panélistes annoncés, mes frères d’esprit, Messieurs FALL, NDIAYE et LAM avec notre frère du Congo le Pr NGALASSO, le Congo (je parle du Congo des ancêtres, le Congo indivisible) auquel nous lie, nous Sénégalais, une forte et sincère amitié magnifiée par les Professeurs Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA dans leur combat commun de l’imposition de l’antériorité des civilisations d’Afrique. Et moimême je suis Congolais pour avoir été reconnu poète pour la première fois lors du Symposium littéraire International contre l’apartheid organisé à Brazzaville, cette belle cité africaine, du 24 au 31 mai 1987 sur le thème : «Les écrivains accusent l’apartheid». Et moi-même je suis Congolais pour avoir été un ami personnel de Sony Labou Tansi qui me reçut dans sa maison de Makelekele, le 2 juin 1987, quand je préparais mon mémoire de maîtrise en Littérature africaine sur «L’art romanesque de Sony Labou Tansi, une étude de La vie et demie».
«Comment penser et écrire l’Afrique de demain?»
Voilà la grande réflexion à laquelle vous nous conviez devant cet honorable public. Penser et écrire l’Afrique de demain, c’est penser et écrire l’Afrique d’aujourd’hui car nous dit le Guinéen Djibril Tamsir NIANE : « Le monde est vieux mais l’avenir sort du présent ». La vérité de l’évolution des peuples est pareille à cette réaction chimique dont parlait, en principe, Lavoisier où : « … rien ne se créé rien ne se perd, tout se transforme. » L’Afrique d’aujourd’hui est un continent qui vient de loin. Depuis cinq siècles, elle a été en contact avec l’Europe qui l’a brutalisée, l’a humiliée au point que le grand poète martiniquais Aimé Césaire, dans Discours sur le colonialisme paru en 1950, pouvait constater les dégâts de la rencontre en ces termes : « … que le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est « propagée » ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route et que l’Europe est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire. » Esclavage, colonialisme et néocolonialisme, voilà les tares que le Monde depuis cinq siècles fait peser sur les épaules de l’Afrique. Or, en n’en point douter, en ce début de 21è siècle, l’Afrique reste encore debout. Car l’Afrique d’aujourd’hui, c’est 30 000 000 de km2. L’Afrique d’aujourd’hui, c’est l’essentiel des richesses qui engrossent la terre. Mais aussi et surtout, l’Afrique d’aujourd’hui, c’est mille millions d’habitants qui ont décidé de pardonner : pardonner sans oublier. L’Afrique d’aujourd’hui, c’est ce continent qui veut tendre la main à l’Autre dans un nouveau partenariat, loin de celui qui unit un cavalier à son cheval, celui-là toujours sur le dos de celui-ci. Cela ne peut plus prospérer.
Nous, écrivains d’Afrique, refusons désormais de donner à d’autres le droit de réfléchir, de parler et d’agir au nom de l’Afrique. Car chaque fois que les autres l’ont fait à notre place, c’est des clichés tortueux d’une Afrique des misères, des famines, des guerres, comme si l’Afrique avait le monopole de la bêtise humaine. On nous parle de nos dictateurs aux mains rouges du sang de leurs frères ! Mais au même moment, on oublie que jusqu’en 1976 Franco était le maître absolu de l’Espagne et avait comme voisin un certain Salazar du Portugal ; qu’au même moment un certain Pinochet vivait au Chili tandis qu’un certain Ceaucescu se pavanait en Roumanie. On oublie le sang versé sur les terres de Yougoslavie après le Maréchal Tito.
L’Afrique, c’est vrai a connu des dictatures, mais ces régimes étaient pour la plupart financés à partir de Paris, Bruxelles si ce n’étaient pas Londres ou Madrid qui ont jeté une indépendance douteuse à la face de nos peuples et que nos écrivains ont suffisamment dénoncée. Dans Les soleils des indépendances, en 1968, l’Ivoirien Ahmadou Kourouma dit de ces libérations : «… comme une nuée de sauterelles, les indépendances tombèrent sur l’Afrique » et son frère Sony Labou Tansi du Congo de renchérir dans La vie et demie en 1979 : «L’indépendance, ça n’est pas costaud costaud.» C’est dire, qu’en tant qu’écrivains, nous avons conscience, suffisamment conscience de notre devoir de témoins de notre époque mais aussi de notre devoir de porte-paroles de nos peuples et c’est à ce titre que nous voulons aujourd’hui une nouvelle littérature capable de dire l’Afrique des BEAUTES transgressées parce que reléguées au second plan de la grande civilisation mondiale.
Mesdames, messieurs,
l’Afrique depuis 1960 est aussi un chantier de gloires ignorées. Parmi ces gloires, l’Organisation de l’Unité Africaine qui pendant trente-huit ans (1963-2001) de combats acharnés a libéré nos 30 000 000 de km2 ; a fait du Dialogue africain la base de la pacification de l’espace. On n’en parle pas toujours. Mais trente-deux chefs d’Etats, chacun ayant arraché des mains étrangères la portion de terre qui appartenait à ses pères, ont du 22 au 25 mai 1963 pris conscience de la fragilité d’une Afrique divisée et ont scellé l’union sacrée pour la défense de la terre ancestrale. Quelles que soient aujourd’hui les erreurs commises par les uns et les autres, ces chefs d’Etats et de gouvernements constituent la liste de nos Justes et doivent être chantés par nos Lettres. Ils ont sauvé l’Afrique du désastre de la bipolarisation du Monde d’après seconde guerre. Ils étaient accompagnés par un ensemble de Secrétaire Généraux qui ont fait l’histoire moderne de l’Afrique et qui ont noms Diallo Tely de Guinée, Nzo Ekangaki et Williams Eteki MBoumoua du Cameroun, Edem Kodjo du Togo, Peter ONU du Nigeria, Idé Oumarou du Niger, Salim Ahmed Salim de Tanzanie. Voilà une partie de la liste de nos héros que nous devons saluer dans nos poèmes, nos pièces de théâtre et donner ainsi à la jeunesse africaine des noms de références sûres.
Donc, je prône une littérature de Panafricanisme qui n’est qu’un retour juste au combat de nos aînés.
Ce Panafricanisme date de William Edgar Du Bois, jeune noir Américain qui dans les rues de sa ville natale en pleine période ségrégationniste criait, en 1890, à qui voulait l’entendre : «Je suis Nègre, je me glorifie de ce nom. Je suis fier du sang noir qui coule dans mes veines». Je rappelle qu’en 1906 déjà, ce Du Bois, dans son livre Ame noire, disait de l’Afrique : «Il ne s’agit pas d’un pays ; c’est un monde, un univers se suffisant à lui-même. C’est le grand coeur du monde noir où ardemment, l’esprit désire mourir.» Au début du XXème siècle le grand poète de la Négro-renaissance américaine, Claude Mac Key, dans son poème « Héritage », disait : «L’Afrique c’est un livre qu’on feuillette jusqu’au sommeil.» Et le grand poète haïtien Jacques Roumain dans son percutant poème «Bois d’Ebène » chante : «Afrique j’ai gardé ta mémoire Afrique/tu es en moi/ Comme l’écharde dans la blessure/ comme un fétiche tutélaire au centre du village».
C’est pourquoi depuis une vingtaine d’années, je prône que chaque intellectuel prenne l’étiquette : Ecrivain Africain du Sénégal ou de Centrafrique selon qu’il soit originaire d’un pays africain ; Médecin Africain du Cameroun ou du Zimbabwé ; Avocat Africain de Tunisie ou d’Angola afin qu’au finish, une seule étiquette nous unisse à jamais « …Africain de… » qui est une revendication légitime d’appartenance à ce grand continent mais aussi un engagement à servir l’humain en son nom.
Ainsi, Mesdames, messieurs, flagellerons- nous nos « frontières héritées de la colonisation », véritables barrières plantées sur nos coeurs. Nous parlerons ainsi de l’étroitesse de nos Etats-Virus car nous sommes des Africains, nous sommes de la race dont l’empreinte pavoise toutes les terres invariables de la terre des hommes. Nous nous battrons aussi, avec nos plumes crevant la virginité de nos pages blanches, pour plus de liberté pour nos peuples et pour tous les fils d’Adam ; plus de considération pour la femme africaine et pour toutes les femmes ; plus d’amour pour l’enfant d’Afrique ; plus de fraternité entre tous les hommes sur toutes les terres de la terre. Nous nous battrons pour l’avènement de la « Civilisation de l’Universel » dont parlait notre respectable compatriote Léopold Sédar Senghor, seul gage d’un monde de paix que dis-je, d’un retour au Paradis terrestre en faveur de tous les fils d’Adam, paradis perdu depuis le crime par notre couple ancestral perpétré au début des débuts.
Voilà ce que doit ma plume. Voilà ce que sera ma plume. Je vous remercie.
Publié dans Dr Djibril
DIALLO Falémé, La Charte
du Mandé : Kurukan Fuga
et Nous, les leçons de nos
Ancêtres, essai, Bordeaux,
Editions SYDO, 2019, pp.
51-60.