Prof. Fatima Mouhieddine
FLSH-Eljadida – Marocco
Résumé
Habiter en couple mixte, habiter une culture en construction Le cas de couples franco-marocains
Habiter en couple soulève d’autant plus de diffi cultés que les partenaires sont issus de deux espaces culturels distants, ce qui est le cas de ceux qui sont dits «mixtes».
Passée la lune de miel mue par le souci de chacun des partenaires d’ »inscrire leurs deux corps dans une psyché unique », phase narcissique par excellence visant à éradiquer toute différence, visant un seul « habitat » c’est, comme pour tout couple, au contact du quotidien que surgissent les diffi cultés, dans la durée, l’espace et les diverses circonstances de la vie sociale et personnelle. Ainsi, les confl its surgissent sur le tracé des frontières du moi et du non-moi ; sur les limites à respecter pour préserver l’intégrité de chacun et percevoir où commence l’intimité du territoire de l’autre…
Mais, différemment de tout couple «ordinaire », ces sources de différends sont exacerbées par l’absence ou la faiblesse des compétences linguistiques; par une connaissance superfi cielle et le plus souvent stéréotypée de la culture de l’autre; par des attentes idéalisées, par des comportements «incompréhensibles » portant sur des modes de pensée qui heurtent parfois des habitudes acquises et les systèmes de valeurs… . Bref, les territoires doivent être redéfi nis et, à l’habitat «unique» succèdent des habitats plus ou moins sécants, plus ou moins habitables à deux, plus ou moins contenants, mais toujours des tracés à redisposer. Ce qui renvoie … aux fondements culturels de chacun, à des interrogations sur leurs pratiques et celles de l’autre… mais aussi à reconnaître que l’autre peut aussi être, et «est» porteur d’une «troisième» culture non seulement existante mais aussi dynamique et évolutive. Il s’agit alors d’une culture qui n’est ni celle de l’un ni celle de l’autre mais plutôt une synthèse des deux, une culture en construction où les traits culturels d’origine se trouvent souvent (ou toujours) sous des formes différentes, représentant ainsi un enjeu fondamental de la négociation portant sur l’habitat commun.
Vivre dans une culture en construction ne veut pas dire conserver sa culture telle qu’elle est à l’origine mais plutôt mieux « habiter » sa culture, comme culture légitime et reconnue, tout en acceptant de la confronter à celle de l’autre, accepter de la transformer en une culturelle individuelle: une culture en dialogue susceptible de se transformer en conséquence.
Cette troisième culture, sourcée dans des crises plus ou moins importantes, « bricolée » sur les fondamentaux de la vie, pose la question de la transmission des codes culturels de chacun, de leur fi liation et de leur(s) affi liation(s) ainsi que de leur devenir. Elle remet en question les étayages et les organisateurs psychiques d chacun pour accueillir une autre culture sans que le sentiment de continuité du soi ne soit rompu. A des cultures aux différences marquées, succède une culture nouvelle, de négociation, qui puise ses racines dans … l’ancien.
Cette communication a pour objectif d’interroger le processus amenant les partenaires de ces couples mixtes à constituer cette troisième culture mais aussi à montrer comment les traits culturels de l’un et l’autre, « étrangers », se trouvent encore, sous des formes différentes dans cette troisième culture.
Introduction
a thèse de doctorat porte sur la construction des relations au sein d’un couple mixte. La question de l’identité en constitue le fi l directeur. Partant de cette thèse, dans le cadre de ce colloque, il me parait intéressant de placer l’habitat dans ses rapports à l’identité.
Les nombreux travaux menés sur les couples mixtes ont concernés essentiellement des français ayant épousé des étrangers, ceux de (Emmanuelle Santelli et Beate Collet) (1992), Hammouche (1998), Tribalat (1991)). Ils sont relatés à travers le prisme de l’émigration Sud/Nord . Différemment d’eux, nous avons choisi, d’interroger des conjoints français émigrants ayant épousé des femmes résidentes au Maroc en nous penchant sur quelques composantes essentielles de leur vie quotidienne.
Ces composantes sont issues de nos lectures et des premières analyses d’entretiens réalisés sous forme de récits de vie uniquement auprès des femmes, Ils ont été menés en 2009- 2010. Il en ressort plus particulièrement, quatre dimensions: l’histoire des deux pays, l’espace, la religion et la langue au quotidien. Les résultats concernent 10 couples. Seuls sont présentés ceux portant sur les récits de vie des épouses.
La sélection de ces couples a été établie grâce à quelques critères objectifs : l’âge et le niveau d’études, le niveau socio économique du conjoint et la stabilité du couple vivant au Maroc depuis au moins 3 ans.
1. couples mixtes et histoire des deux pays
Beaucoup de travaux sur les couples mixtes ont en commun de souligner un contraste, une opposition – voire un confl it potentiel – entre les parties contractantes de cette union même si les éléments en cause varient en fonction du paramètre considéré (nationalités, religions, „ethnies», âges, sexes, goûts, etc.).
Des travaux plus récents dénotent le passage des relations axées sur une culture colonialiste reproduisant au sein du couple des relations qui étaient les refl ets des relations des pays respectifs des conjoints (Varro, 2003) vers une autre culture qui reconnait les origines culturelles contrastés, et qui n’est plus fondée sur une coloration mono culturelle.
En faisant le choix de vivre avec un occidental, la femme marocaine tente d’instaurer de nouveaux modes de relations avec son conjoint en créant un lien fondé sur l’égalité qui consolide son couple et l’aide à se construire autrement. Je ferais l’hypothèse qu’une nouvelle identité est en construction dont la mesure où ces femmes aspirent à vivre en rejetant un mode de vie fondé sur leur dépendance vis-àvis de l’homme.
2. Aménagement Aménagement spatial et la quête identitaire
L’aménagent spatial de l’habitat constitue une forme de manifestation de l’identité.
Préalablement il faut en choisir la forme. Ainsi Leila a insisté pour ne pas vivre dans un habitat traditionnel mais dans un immeuble, mettant en avant la notion du voisinage. Elle s’y sent plus libre, notamment de pouvoir entrer et sortir de chez elle sans être épiée par tout le quartier et de pouvoir s’habiller autrement. Sara nous confi e qu’elle avait porté le voile parce qu’elle ne se sentait pas libre, et qu’en habitant désormais avec son mari dans un quartier non traditionnel elle se sent suffi samment libre pour sortir sans voile.
Or fréquemment les conjoints français cherchent à mettre une coupure avec le monde occidental, en aspirant à une vie qu’ils disent authentiquement marocaine. Ce peut être la source d’un confl it entre eux. Selma se plaignait du fait que son mari voulait absolument quitter la ville et s’installer dans le village des grands parents maternels, là ou Selma n’a jamais mis les pieds. Il lui tenait un discours écologique qu’elle ne pouvait accepter.
Du quartier à la maison, ces jeunes femmes interrogent en même temps leurs espaces et elles-mêmes à travers la question d’une identité renouvelée. Leurs choix d’habiter les nouveaux quartiers s’inscrit dans la continuité d’une rupture nécessaire á l’émergence et à l’affi rmation de leurs identités.
La manière dont est occupé l’espace intérieur renvoie souvent aux fondements culturels de chacun, à des interrogations sur leurs pratiques et à celles de l’autre. Elle conduit aussi à reconnaitre que l’autre peut aussi être, et « est » porteur d’une culture différente. Des aménagements sont nécessaires et ils font l’objet de négociations conduisant à l’émergence d’une « troisième » culture, dynamique et évolutive. Elle n’est ni celle de l’un ni celle de l’autre mais plutôt une synthèse des deux, une culture bricolée faite des traits culturels de l’un et de l’autre, et elle est l’objet de négociation au sein du couple, ce qui permet l’instauration de nouvelles relations incluant les traits respectifs de chaque culture. Ainsi Nadia est passée d’une maison « Dar », qui appartient à tout le monde et à personne en même temps, traditionnelle, à une maison permettant de ne voir la famille qu’une fois par mois.
A titre explicatif, j’avancerais que la représentions de l’espace domestique chez ces femmes marocaines, se transforme dans la mesure ou dans la tradition, la jeune fi lle et la femme mariée sont toujours considérées comme des invitées.
L’intérieur de l’habitat refl ète le passage d’une disposition traditionnel, conventionnel vers une dimension dont laquelle l’intimité du couple est mise en avant. La question des territoires revient souvent. Amal apprécie que les territoires masculins et féminins soient entremêlés, mais dit-elle que la cuisine soit exclusivement féminine surtout quant sa famille est là. Najat veut bien que son mari débarrasse la table, mais ne veut pas qu’il touche à la cuisine, » il peut rester au salon en attendant que le repas soit prêt ». Quant à Leila, elle a besoin de ses espaces à elle pour que chacun occupe son « rôle naturel ».
A l’image de son quotidien, l’espace domestique d’un couple mixte est investit par les composantes culturelles, de l’ordre de la domination ou de la suprématie, du confort ou de l’écologie, du modernisme ou du traditionalisme, mais c’est surtout un miroir qui refl ète cette nouvelle façon de vivre autrement, qui n’est pas encore tout à fait construite, mais qui est déjà très différente du model de l’un et de l’autre.
3-Habiter par la religion
Bien que pour les femmes interviewées, la question de la religion reste secondaire, essentiellement liée aux fêtes, les occidentaux doivent se convertir à l’islam s’ils veulent se marier avec une femme musulmane. En dépit de leur conversion, des réticences subsistent. Elles sont généralement levées sur la base d’un compromis, c’est celui de l’aide économique que le conjoint français peut apporter à cette famille. C’est le cas de Leila qui précise que son mariage avec son conjoint français lui a permis de prendre en charge de la famille. Amal dit «…de toute façon mon mari touche une pension sans travailler…c’est comme ça là-bas….mes parents peuvent en profi ter aussi ». Quant à Najat elle confi rme que ses frères ont accepté de « donner sa main » au français, pour qu’il leur facilite la vie ici et peut être ailleurs ».
Je ferais l’hypothèse que la multiplication des mariages entre les « nouveaux convertis » et ces femmes marocaines, est un indicateur d’une évolution en douceur de la société, fondé sur une certaine souplesse non dite dans les relations entre des communautés culturellement différentes, qui tend non pas à se fondre l’une dans l’autre (rapport de force), mais à construire une troisième culture.
4-Habiter la langue
Habiter la langue est délicat au sein de ces couples. En effet, les occidentaux n’éprouvent pas le besoin d’apprendre une langue qui est remise en question par les nationaux. De leur côté, les femmes marocaines disposent toujours de deux ou trois langues. C’est peut être pourquoi, elles sont très réticentes ou refusent d’apprendre le français. Ainsi, Fatem ne trouve pas la nécessité de parler français , puisque dit -elle « elle ne va pas habiter en France ». Il en découle que le plus souvent les échanges sont fondés sur la mise en place d’un code qui leur est propre pour communiquer, réduisant sans doute leurs échanges. Une conséquence peut être celle d’une remise en question de la transmission d’une langue aux enfants : sur quel code sera-telle fondée?
Conclusion
Comme esquissée à traves les entretiens, la question d’habiter en couple mixte renvoie bien à une culture inachevée, en construction, dont les formes prennent racines dans un passé ambivalent. Il est rejeté par les deux quant il concerne la dimension affective des relations. Il est rejeté seulement par les femmes quant il concerne l’habitat.
Il semble donc intéressant de poursuivre la réfl exion sur la question de la transmission appliquée au couple mixte, car elle permet d’interroger les identités personnelles, comme le résultat de conjonctions entre des appartenances plus collectives et des choix individuels.
- Emmanuelle Santelli et Beate Collet, » Comment repenser les mixités conjugales aujourd’hui ?Modes de formation des couples et dynamiques conjugales d’une population française d’origine maghrébine», dans Revue européenne des migrations internationales, 2003.p.51-79.
- Hammouche Abdellatif,Mariages et immigration, la famille algérienne en France, PU lyon, 1998.
- Tribalat Mihéle, 100 ans immigration étrangers d’hier français d’aujourd’hui, Institut National D’études Démographiques, 1991.
- Varro Gabrielle, Sociologie de la mixité, de la mixité amoureuse aux mixités sociales et culturelles,Belin,2003.
- 10.000 mariages mixtes selon les statistiques du Ministère de la justice marocain en l’année 20007.
Bibliographie
- Emmanuelle Santelli et Beate Collet, » Comment repenser les mixités conjugales aujourd’hui ?Modes de formation des couples et dynamiques conjugales d’une population française d’origine maghrébine», dans Revue européenne des migrations internationales, 2003,pp.51-79.
- Hammouche Abdellatif, Mariages et immigration, la famille algérienne en France, PU lyon, 1998.
- Pinson Daniel, L’habitat contemporain au Maroc et son rapport à l’évolution des modes de vie, édition Ecole d’architecture de Nantes, 1987.
- Segaud Marion, anthropoloie de l’espace, habiter, fonder, distribuer, transformer, Armand Colin, 2007.
- Singly (de) François, Habitat et relations familiales. Bilan, Paris, la documentation française, 1998.
- Tribalat Mihéle, 100 ans immigration étrangers d’hier français d’aujourd’hui, Institut National D’études Démographiques, 1991.
- Varro Gabrielle, Sociologie de la mixité, de la mixité amoureuse aux mixités sociales et culturelles,Belin, 2003.